Turbulences

Turbulences

 

Les stages de sensibilisation en sécurité routière, appelés,  aujourd’hui  et fort justement, ‘stages de  récupération de points’,  traversent une zone de turbulences. Les stages dits « permis à points », sont devenus en quelques années des stages commerciaux de ventes de ‘points’ où le marketing a remplacé tout travail de réflexion. Comme l’hypothèse de ces stages,  est que tout doit venir des stagiaires, alors tout le monde peut se lancer dans le business.

 

Une incapacité à réguler

 

La Délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR) appelée maintenant la Délégation à la sécurité routière (DSR) qui, dans l’incapacité de réguler un système devenu totalement instable, en est réduit à accepter un programme de stage digne d’une compétition où la répétition mécanique retient prisonnier l’animateur en incarcérant son activité (Clot, 2002). Or cette répétition expose au désaveu du réel chaque fois qu’un effort de discrimination devient nécessaire dans la situation. Programme de formation provenant d’un système clanique qui impose de manière dogmatique et idéologique un programme qui n’a rien à voir avec un travail d’éducation ou de formation, et encore moins un travail d’élaboration dans le cadre des problématiques qui nous intéressent, autrement  dit l’éducation routière, mais plutôt un programme utilisant des techniques commerciales comme la théorie de l’engagement qui n’a d’autre intérêt que de vous entraîner dans un tourbillon effréné pour empêcher  justement toute activité de pensée.

 

Chaos institutionnel

 

Activité empêchée par une absence de cadre dialogique qui pétrifient les comportements et immobilise la créativité. Le travail des animateurs qui dans l’incapacité d’accueillir l’original, de recevoir l’inattendu voire l’imprévu, englués dans la répétition et l’absence de recherche de l’essence du problème s’empressent d’expliquer avant de comprendre (Vygotski, 1930/1987). Les turbulences, la mercantilisation du cadre institutionnel, l’absence de cadre donnant accès à la reconnaissance des animateurs et, non des moindres, la dévalorisation de la mémoire collective du travail par ignorance des savoirs faire professionnels et la séparation des « générations » conduit à la situation actuelle, où chacun cherche, par tous les moyens, à la maximisation des profits pour les uns et la sauvegarde psychique pour les autres, qui se donne à voir dans l’agir expressif (Dejours, 2001). Véritable chaos psychologique et institutionnel, cette situation pourrait apparaître préoccupante voire délétère pour les professionnels.

Conséquences les animateurs souffrent, d’autres quittent, les nouveaux sont sous payés, les anciens pris en otages. Corollairement, l’activité dont la définition des finalités n’a jamais été déterminée, se trouve réduite à des grandes tirades préconstruites, à une absence d’écoute des stagiaires, à une andragogie infantilisante, à un autoritarisme qui sert à affirmer sa domination. Sans oublier l’utilisation d’un catalogue d’outils, non validés scientifiquement pour le sujet qui nous intéresse et dont chacun l’utilise de façon strictement impersonnelle, en conformité avec la tâche prescrite. Au demeurant, cette dimension impersonnelle est immobilisée dans l’institution et ne peut participer à l’évolution du métier. Loin de l’activité réelle, décontextualisée, cette dimension impersonnelle a congelé le métier.

 

Une impuissance d’agir.

 

Le travail de l’animateur parasité par ces préoccupations se trouve alors dans une forme d’impuissance d’agir. Une sorte d’acrasie. L’institution qui a délibérément écartée l’expérience, fondatrice d’une histoire collective créatrice du développement du métier, a corollairement participé à la dégénérescence du métier, autrement dit la perte générique de l’activité. Une perte du genre professionnel qui s’origine sur un rétrécissement de l’activité et une absence de dispute entre professionnels en dehors de la source. Cette dimension collective, transpersonnelle, corps intermédiaire  constitué des normes endogènes qui assure la maintenance du métier est cependant la mémoire collective du métier. Métier qui se construit sur les manières de faire et qui s’origine justement sur l’expérience, a besoin de son histoire pour entrevoir le futur. Séparer les générations de travailleurs, c’est faire l’impasse sur le développement du métier. Cette séparation voulue par l’institution rend le repérage des normes endogènes difficiles pour les nouveaux animateurs parce que la dimension transpersonnelle chargée d’histoires avec les réussites et les échecs a été volontairement expulsée. Expulsion qui est à  l’origine, pour les uns et les autres, du sentiment de ne plus vivre la même histoire. Du coup le collectif qui aurait du être le service de maintenance du métier,  s’est transformé en une machine à abîmer le métier, parce que justement les animateurs ne se tiennent pas la main.

Séparer les « générations » c’est ignorer que le travail est aussi adressé à l’autre et à son activité. Il est aussi interpersonnel parce qu’il sert au développement de l’histoire collective à condition d’être exposé au travail des autres. Or si vous faites différemment, l’animateur objet,  vous renverra sans cesse  » on fait quoi après » ou  » je vais intervenir cet après midi parce que je ne sais pas ou tu veux en venir.  »  Autrement dit si le déroulement ou l’animation ne se fait pas comme prévu par le prescripteur, l’animateur objet impersonnel se trouvera dans l’impossibilité de trouver les ressources nécessaires à l’activité. Les querelles de personnes viendront alors remplacer les discussions de métier. Ainsi une grande partie du métier ne se montre pas eu égard aux turbulences de la situation actuelle, parce que pour le dire avec  Canguilhem la santé « c’est aussi la vie dans la discrétion des rapports sociaux« .

Quand à la dimension personnelle de l’activité, elle est le « style » celle qui fait que je suis différent en faisant le même travail différemment. Or ces deux dernières dimensions sont la vitalité du métier. Vitalité qui fait que par ma façon de faire que je tiens de l’histoire, transformée par mes expériences et enrichie du faire avec les autres, je transforme le métier. Ce faisant, le collectif devient ce qui va servir à la transformation du métier parce que mon activité est avant tout instituante et doit résonner sur les activités instituées, et c’est justement par ce système d’aller et retour que je peux rester au contact du réel. Autrement dit, il devrait exister un lien entre les dimensions qui si il n’existait pas, l’activité s’éteindrait. Quand il existe des sens interdits entre les activités prescrites et les activités réelles, alors non seulement l’activité se nécrose, manque de vitalité et ne peut se renouveler. (Y. Clot)

Ainsi l’individualisation, la constitution des binômes, le statut des animateurs dans le cadre de la relation de travail et la concurrence sauvage entre organismes et délétère entre animateurs, ne favoriseront pas le développement du métier.

 

A suivre…

2 commentaires sur “Turbulences

  1. Bonjour Jean-Luc,

    Je n’ai pas tes connaissances, ni la capacité à articuler les concepts.
    je trouve intéressants tes propos- même si je dois les relire plusieurs fois pour tout m’aproporier- ta vindicte et ton engagement justement.

    J’ai une question très vaste à poser ici.Que proposes-tu pour ces stages?
    Quelle démarche utiliser pour construire un avenir radieux?
    Et enfin, comment soigner l’agressivité de notre contexte?

    1. C’est une question intéressante. Avant de faire des propositions il faudrait savoir se qui se passe sur le terrain. Les gens de terrain le savent, Mais Nevers refuse de voir. En fait ce n’est pas tant Nevers qui refuse de voir mais plutôt l’INSERR et les gens qui ont en charge la formation des animateurs. Dans ma problématique j’explique déjà pourquoi il y a tant d’obstacles. Cependant oui il y a d’autres approches à explorer mais j’y reviendrai plus tard. Mais d’ores et déjà force est de constater que la plupart font déjà différemment. Merci de ta réponse.

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