UTILITÉ DES STAGES : DES AVIS PARTAGÉS ( Alain Sabathié)

 

Une réunion d’animateurs s’est tenue fin mars au ministère des transports, réunion présidée par Emmanuel Barbe, actuel délégué interministériel à la sécurité routière. En guise d’introduction, monsieur Barbe a déclaré que « Tous les conducteurs devraient suivre un stage. »

Ce genre de phrase, tous les animateurs l’ont entendue un jour ou l’autre de la bouche des stagiaires. Mais de la part d’un délégué interministériel à la sécurité routière… Sans doute flattés de l’importance soudaine donnée à leur mission, les animateurs présents n’ont pas souhaité en savoir davantage sur la pertinence de cette déclaration.

Personne n’a osé demander à monsieur Barbe s’il pratiquait la méthode Coué ou s’il parlait en toute connaissance de cause, par exemple après avoir participé à un stage. Ni même s’il avait déjà perdu des points (cette fameuse question que les stagiaires les plus hardis osent poser aux animateurs…). Et si oui, par quelle logique avait-il pu extrapoler son cas personnel à la multitude ? Mystère. Quoi qu’il en soit, l’hypothèse la plus vraisemblable est qu’il s’agit d’une flagornerie gratuite destinée à se mettre les animateurs dans la poche.

Quittons le microcosme de la sécurité routière et regardons au-delà : son avis est-il partagé parmi les hauts fonctionnaires qui dirigent le pays ? Il y a une dizaine d’années, au moment de la montée en puissance du système permis à points, le ministre de l’intérieur de l’époque avait souhaité savoir ce qui se passait vraiment dans les stages. Quelques collaborateurs du ministère furent chargés de jouer les clients mystères.

Il n’y eut pas de rapport officiel mais en coulisses, les ‘’espions’’ ne se sont pas gênés pour livrer leurs impressions : organisateurs peu scrupuleux (soupçons de fraude fiscale…), manque de professionnalisme des animateurs, programme qualifié de fumisterie, etc.

Plus tard, l’un de ces fonctionnaires confia en privé que personne en haut lieu ne croyait à l’utilité des stages : « Un stage c’est une garderie, comme la case prison du jeu de l’oie. C’est la contrepartie des 4 points, car il n’était pas question d’ouvrir un guichet en préfecture pour les plus nécessiteux. » Tout était dit.

À peu près à la même époque, Jacques Attali (le célèbre économiste, celui qu’on ne présente plus : conseiller politique, mathématicien, écrivain…) avait lui aussi participé à un stage et fait part de son expérience dans son blog (24 avril 2007) : « Déception : tout, dans cet exercice, est absurde. Tout est gaspillage de temps, d’argent, de compétence (…) Dans la salle, 18 personnes, assurés qu’il leur suffit de rester deux jours dans cette salle pour rattraper quatre points perdus (…) Le stage est hallucinant de bêtise (…) Pas de travail personnel. Aucune formation. Pire : aucun contrôle. Deux jours entiers perdus pour 20 personnes (remarque de votre serviteur : les animateurs sont dans le même sac !). Le seul intérêt de ce stage est qu’on est prêt à tout pour ne pas y revenir. » On ne saurait mieux dire.

Un peu plus tard, à l’occasion d’une conférence sur l’économie donnée dans une grande école, ce même Jacques Attali avait livré une information importante sur la manière dont le monde politique et économique perçoit le stage.

Parlant de l’inflation et des différents moyens de la juguler, le brillant économiste avait pris le stage comme exemple : « C’est l’une des meilleures mesures anti-inflationnistes qui soient : l’activité n’est pas délocalisable. Encore mieux, elle est répartie sur tout le territoire. Aucun flux de marchandise, uniquement de l’argent qui circule entre automobilistes, organisateurs, hôteliers et animateurs. De l’argent qui, par la suite, sera redépensé au niveau local. » Pas faux.

L’analyse de Jacques Attali complète celle d’un célèbre milliardaire américain du début du XXème siècle à qui on demandait quel était le secret de la réussite. Il répondait invariablement que le business idéal consiste à vendre du vent.

Et les stagiaires dans tout ça ? Quels sont leurs besoins ? On pourrait croire que le sentiment de culpabilité et l’amende sont les conséquences les plus pénalisantes de l’infraction. Le sentiment de culpabilité dites-vous ? Quant à l’amende, certains sont prêts à en payer autant que de besoin, pourvu qu’on les laisse conduire tranquille.

En réalité, ce qui gêne les conducteurs et les amène au stage, c’est cette menace diffuse consécutive au retrait de point(s). Une menace purement fantasmée puisque les points n’ont pas de réalité matérielle, ils n’existent que dans leurs têtes, malgré des permis parfaitement valides. Plus fort encore : celui qui a perdu des points est le seul à le savoir. Une sorte de masturbation de la glande à angoisses.

Le système permis à points fonctionne donc d’abord et avant tout dans l’imagination, en stimulant les fantasmes. Une invention formidable qu’on doit, paraît-il à un psychologue américain. Celui-là a dû hériter du génie qui fait défaut à tous les autres.

Racheter des points qui n’existent pas, c’est ce fameux vent qu’évoquait le milliardaire américain. Un vent si puissant qu’il balaye tout sur son passage, y compris les motivations les plus nobles, si tant est qu’il y en ait.

Des stagiaires motivés, il y en a, on les remarque tout de suite, mais ils sont rares. La grande majorité joue le jeu sans se poser de questions. Ceux qui ont le plus de recul cautionnent l’avis de Jacques Attali et celui du milliardaire américain. Ils ont parfaitement compris qu’ils venaient racheter un droit de conduire, pourtant déjà acquis. Pour calmer leurs angoisses, ils sont prêts à passer par la case prison et acquitter une sorte de super-taxe. De parfaits cocus, en somme.

Les psychologues avec qui j’ai travaillé étaient très surpris que j’aborde cet aspect du système, ils n’y avaient pas pensé. C’est dire le peu de recul qu’ils ont par rapport à un environnement professionnel dans lequel, ne leur en déplaise, la sécurité routière n’occupe finalement qu’une place secondaire.

Face à Emmanuel Barbe, les animateurs sont restés muets. L’efficacité des stages, ils ‘’y croient’’, mais leur avis ne vaut rien. Plus ils y croient, moins ils sont objectifs. On ne peut pas être juge et partie.

Le seul avis qui compte est celui d’individus non liés par des conflits d’intérêts et aux capacités d’analyses reconnues, comme les grands commis de l’État. Ceux-là n’ont jamais été convaincus de l’utilité des stages. L’opinion la plus souvent partagée en haut lieu est qu’un stage permis à points ne sert à rien, sinon à tuer le temps ou, s’il a la moindre utilité, elle est purement économique.

Emmanuel Barbe rêve d’imposer le stage permis à points à tous les conducteurs. La France entière en stage, quelle jubilation pour les professionnels du secteur ! Pourtant, un délégué interministériel à la sécurité routière devrait savoir que ce rêve est irréaliste, et sans doute le sait-il : en effet, il y a 42 millions de personnes à recycler et, à supposer que le stage soit efficace (nous y reviendrons) et éviter la dilution du message, il faudrait convoquer la totalité de cette population dans un délai assez court, disons 5 ans maximum.

Hélas, le calcul est vite fait : ça ferait 8,4 millions de conducteurs à recycler chaque année. Or ils ne sont que 350 000 pour l’instant, soit 24 fois moins. Pour que le rêve d’Emmanuel Barbe devienne réalité, il faudrait donc multiplier par 24 le nombre d’animateurs, de salles et de fonctionnaires dédiés…

Conclusion : monsieur Emmanuel Barbe est, soit un charlatan, soit une cloche. À vous de choisir…

Alain Sabathié

1 commentaire sur “UTILITÉ DES STAGES : DES AVIS PARTAGÉS ( Alain Sabathié)

  1. J’adore. ..enfin la langue de bois qui passe à la trappe. ..notre amis va se faire, comme moi d’ailleurs, des copains dans la profession !!! Attention de pas se retrouver black listé. ..
    Notre profession basée effectivement sur du vent avec des contenus qui sont tout sauf des stratégies qui permettent de gérer le déplacement sûr donc la sécurité routière construit les animateurs selon le principe de  » l’homme machine  » qui déroule un programme pensé par d’autres pour un public soit disant hétérogène mais où finalement pour tout le monde la soupe est identique…c’est d’autant plus facile a réaliser que les animateurs sont « bloqués  » par le programme officiel.
    Sous couvert d’une trame réglementaire qui permet soit disant de pouvoir réaliser une co animation réussie se cache surtout en perspective une réalité plus abrupte. Pour être animateurs pap tu dois adhérer a la logique du stage, a la logique du gouvernement, a la logique du système. ..Celui ci d’ailleurs ne doit pas être remis en cause. Ni par les animateurs, ni par les stagiaires qui sont dans ce cas remis gentiment à leurs places en leur rappelant que l’objectif des stages n’est pas de parler des autres ou du système mais bien de parler d’eux. ..
    Les stages se résument donc à l’équation suivante :  » pour être animateur tu adhère ou tu dégages ». Un goût de déjà vu déjà entendu dans le passé pour d’autres situations de la vie quotidienne.
    Il est heureux que certains animateurs aient le courage d’être le 10 ème homme. ..Lorsque 9 personnes disent et pensent la même chose le rôle du 10 ème n’est pas de dire et penser comme les 9 autres. ..A l’heure des procédures et de l’uniformisation qui va nous envoyer immanquablement dans le mur c’est bien de se savoir qu’il existe beaucoup de 10 ème hommes. Lorsque le système implosera, victime de ses propres contradictions, les écrits de ces personnes pourrons remonter à la surface et montrer que la situation future a venir était finalement parfaitement prévisible. ..
    Vive les 10 ème hommes. ..
    Lorsque je dédicace mes livres j’ajoute souvent au dessus de ma signature que :  » réfléchir c’est commencer à désobéir « …Hélas les français viennent de perdre 2 points de QI. ..

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