LES DÉCONVENUES DES ANIMATEURS DE STAGES PERMIS À POINTS Alain Sabathié

LES DÉCONVENUES DES ANIMATEURS DE STAGES PERMIS À POINTS

            Avec le permis à points, une nouvelle qualification professionnelle est apparue, celle d’animateur de stages. Une aubaine, surtout pour les psychologues dont la profession était minée par le chômage. La pratique du métier a mis fin à toutes ces illusions, avant même que la crise sanitaire ne fasse le reste. Voici le détail de ces déconvenues.

            L’histoire avait pourtant bien commencé, avec cette phase expérimentale destinée à accompagner la montée en puissance du système : des stages rares, des animateurs triés sur le volet, une organisation impeccable confiée à une institution, la Prévention Routière, des prix garantis… En somme, pour les animateurs, une ambiance agréable, un travail facile et bien payé, avec de belles perspectives d’avenir.

            Les premières déconvenues sont apparues avec la co-animation. Au départ présentée comme allant de soi et idyllique, la co-animation est en réalité une situation artificielle dans laquelle le conflit est la règle et l’entente, l’exception. L’expérience récente du confinement a montré que la promiscuité pouvait générer une agressivité parfaitement normale, même au sein des couples les plus unis. Les rats de laboratoire se bouffent entre eux dès qu’on réduit leur espace vital.

            La ‘’gestion du collègue’’ est devenue la principale difficulté du métier. Il faut pouvoir supporter l’autre, ce boulet, pendant deux journées entières. Ça commence par des maladresses : à un moment ou à un autre, il y a désaccord, l’un coupe la parole à l’autre, le contredit, lui marche sur les pieds et la rancœur s’installe. Quand l’ambiance est délétère, les animateurs fragiles vivent dans l’angoisse, ils partent travailler la peur au ventre, terrorisés à l’idée d’animer avec un bourreau. Mais c’est tabou de l’avouer, le problème n’est jamais abordé.

            De toutes manières et quoi qu’on fasse, la co-animation est un exercice voué à l’échec. C’est le mariage de la carpe et du lapin. Il est en effet impossible de synchroniser deux personnes aux pratiques professionnelles si différentes. Notre profession est d’ailleurs la seule à imposer pareille condition. L’équivalent n’existe nulle part ailleurs dans aucun autre secteur d’activité, pas même dans les pays où il y a des stages.

            Les formateurs qui ont animé seuls l’ont vérifié : quand on est seul, ça marche bien mieux, le stage gagne en rythme et en intensité. C’est facile à comprendre : les formateurs ont appris à ‘’sentir’’ un auditoire, ils savent où l’emmener et comment y parvenir, c’est ce qu’on appelle la pédagogie, c’est leur métier mais ce n’est pas celui des psychologues. Avec un ‘’fil à la patte’’, cette démarche instinctive n’est plus possible, sauf à réduire le collègue au silence.

            Et puis co-animer pour quoi faire ? En milieu scolaire par exemple, on ne demande pas au psychologue de co-animer avec le professeur. Le psy reste sagement assis dans son coin, il se tait et observe. On ne l’imagine pas prendre les rênes d’un cours, ce n’est pas son métier. Or en G1, les psychologues se sont crus investis d’une mission de sécurité routière, ils se sont mis à singer les formateurs en se prenant pour des enseignants de la conduite. Personne n’avait imaginé des psychologues aussi bavards, intarissables sur les contrôles d’alcoolémie, les feux tricolores et le code de la route. Mais des psychologues sans psychologie, à quoi ça sert ?

            La G2 n’apporte pas de réponse, et pour cause : il n’y a plus ni formateur ni psychologue, mais deux animateurs interchangeables qui pratiquent une co-animation fusionnelle obligatoire. Le nouveau programme est construit autour de cette fameuse dynamique de groupe, avec moult jeux de rôles et questionnaires pour les nuls(1). Du coup, l’ambiance générale qui règne en G2 est celle d’une colonie de vacances, avec des participants que les animateurs sont chargés de distraire pour tuer le temps(2).

            L’une des séquences les plus représentatives de l’esprit G2 est appelée ‘’Comportement cible’’, elle propose un ‘’Exercice de détente’’ qui se déroule de la manière suivante : les participants « doivent se tourner le dos », puis enchaîner plusieurs cycles de respiration censés « libérer ressources et énergies nouvelles ». Attention : la consigne exige « d’inspirer par la narine gauche, puis d’expirer par la narine droite, et vice-versa », ce qui change tout en effet(3). Brasser du vent, voila qui résume ce qu’est la G2.

            Une déconvenue d’un autre genre est apparue avec le statut d’indépendant que tous les animateurs ou presque ont adopté. Pour les marchands de stages, c’est l’idéal : pas de déclaration, pas de charges, pas de contrat, pas de paperasses, pas d’ennuis. Pour les animateurs, quelle désillusion ! Certains l’ont découvert à leurs dépens : l’organisateur n’est pas un employeur mais un client. Les autres animateurs ne sont pas des collègues mais des concurrents. Le chiffre d’affaires n’est pas un bénéfice, et encore moins un salaire.

            En fait, l’indépendant se charge de tout, à commencer par les frais professionnels et les diverses cotisations (URSSAFF, mutuelle santé, complémentaire retraite…). Mais surtout, il faut pouvoir alimenter au moins trois cagnottes, une pour les congés, une pour la formation continue et une pour les coups durs. Car l’indépendant travaille sans protection, il n’a aucune garantie de l’emploi et la concurrence est rude. Un organisateur peut changer d’animateur quand il veut, ou tout simplement annuler un stage. Il peut aussi retarder le paiement d’une facture ou déposer le bilan sans prévenir. Tous les indépendants ont dû, un jour ou l’autre, s’asseoir sur une facture, sans recours possible. Bref, l’animateur prend tous les risques, il doit donc réaliser un chiffre d’affaires conséquent pour pouvoir survivre.

            En période faste, quand il y a beaucoup de stagiaires, des prix élevés et peu d’animateurs, le chiffre d’affaires est suffisant. Mais l’âge d’or est terminé. Divers facteurs bien connus expliquent la dégringolade : trop d’animateurs, trop d’organisateurs, le nombre de stagiaires qui stagne et internet qui libère le marché.

            En 2019, il fallait une moyenne de 5 stages par mois pour dégager un revenu équivalent à un SMIC. Une moyenne pas si facile à tenir : certains mois c’était 6, d’autres 4 (jours fériés, annulations, collègues qui vous récusent…). Tout le monde a connu au moins un animateur obligé d’aller travailler à plusieurs centaines de kilomètres de chez lui, de se contenter d’un sandwich à midi et de passer la nuit dans la voiture pour réduire les frais.

            Face à la crise, les psychologues, qui se cramponnent au permis à points comme des naufragés à une bouée, ont cru trouver une planche de salut avec les tests psychotechniques. Mais là encore, c’est l’embouteillage : quelle déconvenue !

            Dans le Val-d’Oise par exemple, la liste officielle publiée fin 2019 sur le site de la préfecture recense plus d’une centaine de psychologues agréés(4). Or, dans tout le département et pour toute l’année 2019, il n’y a eu que 2 401 invalidations de permis, probatoires compris, soit une moyenne de 24 tests par an et par psy(5).

            Et ça, c’était avant le Covid. On estime que la crise sanitaire et le confinement ont entraîné une baisse de l’activité économique générale d’environ 40 %. Si la répercussion sur le permis à points est du même ordre, le nombre d’invalidations dans le Val-d’Oise en 2020 pourrait chuter à moins de 1 500, soit une moyenne de 15 tests par an et par psy. Ajoutons que, durant le confinement, les indépendants ont été totalement privés de revenus, mais il faudra quand même payer les charges.

            Bilan ? Le filon du permis à points est épuisé. Heureusement, les formateurs ont un vrai métier, c’est la formation des conducteurs. Quant à vous, chers amis psychologues, la sécurité routière va devoir se passer de vos services. Tentez votre chance ailleurs, là où la demande est forte : écoles, hôpitaux, maternités, crèches, maisons de retraite, associations LGBT, etc. C’est mal payé, d’accord, mais au moins vous serez utiles.

                                                                                                                                       Alain Sabathié

(1) Exemple de question : « À quoi sert le freinage ? » (Guide de l’animateur, page 160). Notre suggestion en cas de refonte du programme : À quoi sert le volant ? À quoi servent les roues ? Etc.

(2) La terminologie est révélatrice : en G2, ce ne sont plus des stagiaires mais des participants.

(3) Guide de l’animateur, pages 64 et 65 (module produits psychoactifs), idem pages 140 et 141 (module vitesse).

(4) Liste à télécharger sur le site de la Préfecture du Val-d’Oise :

www.val-doise.gouv.fr/Demarches-administratives/Professions-reglementees/Tests-psychotechniques/Liste-des-psychologues-declares-pour-effectuer-les-tests-psychotechniques

(5) Bilan statistique 2019, pages 58 et suivantes, à télécharger sur le site de l’ONISR :

www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/etat-de-l-insecurite-routiere/bilans-annuels-infractions-et-permis-a-points/bilan-2019-des-infractions-et-du-permis-a-points

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