Problématique

 

Problématique

 

Débattre, discuter des activités de formation en sécurité routière, relève du courage. Celui de ne pas avoir peur d’engager à travers « une parole dégagée le plus possible de toute langue de bois » (Mérieux, 1993), une discussion autour du paradigme qui associe l’infraction à l’accident, et corollairement l’influence qu’il entraîne dans les stages de sensibilisation. Espérer une sécurité maximum de la circulation routière par le seul repérage de l’infraction, voire de certaines infractions, relève de ce paradigme et risque de produire un conducteur machine dont la seule préoccupation serait une conduite d’évitement de l’infraction avec une sous estimation du risque routier par absence d’évaluation du danger. A travers ce paradigme, la sécurité attribuée aux systèmes techniques, organisationnels et aux conditions climatiques, fait apparaître l’infraction comme seul dysfonctionnement possible. Dysfonctionnement à l’intérieur duquel s’insère les formations sensibilisation  en sécurité routière où l’infraction est la principale variable.

Ce dysfonctionnement entraîne de multiples erreurs de raisonnement qui se donnent à voir à travers des postulats comme: l’association « infraction-accident », ou bien encore à travers le vocable « défaillances » qui dans les analyses d’accidents, renvoi à la faute du conducteur.

Ces erreurs s’origine au sein même d’une absence de volonté de décryptage des concepts qui au delà d’une absence de littérature, s’étayent sur un management de la sensibilisation en sécurité routière dont l’opacité des objectifs semblent plutôt activer les mécanismes de culpabilité du conducteur que d’initier un véritable rayonnement de la pensée de tous les acteurs.

Éclairer ce débat permet de questionner l’influence de ce paradigme de l’infraction à travers les activités des stages de sensibilisation à la sécurité routière fondées sur la répression des automobilistes auteurs d’infractions routières. Répression qui forme le socle principal de la prévention et de la réduction des accidents et « formate le champ de la prévention  » (Jayet, 2007).

Or la sécurité routière qui ne s’évalue qu’à travers l’accident n’expliquent rien de l’infraction ni de sa production. Ce faisant attribuer l’accident à l’infraction relève d’un déterminisme qui s’oppose à toutes démarches scientifiques, pédagogiques, et donc de véritable sensibilisation à la sécurité routière.

Toutefois si penser différemment offre la possibilité de sortir des impasses intra-paradigmatiques; mettre à jour des dimensions occultées, déniées ou refoulées (paradoxes, excentricités, questions scientifiques voire épistémologiques) expose au risque de l’exclusion dans un système clanique. Ce faisant ce paradigme, paralyse l’objet de l’activité des animateurs, plus largement des acteurs de la formation sécurité routière et anesthésie la dimension subjective nécessaire à la création voire la re-création des instruments psychologiques de l’activité.

Ainsi, les animations de stages de sensibilisation résultat d’une pensée mise en sommeil, se donnent à voir que sous la figure de modèles théoriques par l’intermédiaire « d’outils » qui prennent le statut de savoirs savants et qui s’insinuent dans tous les parcours de formations actuelles en sécurité routière et les contaminent. Cependant ces « outils » véritables anesthésiants de pensée entraînent démobilisation, souffrances et querelles de personnes. Du coup, l’objet de l’activité n’est plus tourné vers l’acte de sensibilisation ni vers l’activité de l’autre animateur portant sur l’acte de sensibilisation (dans le binôme), mais il est dirigé sur sa propre sauvegarde.  » …je ne veux plus travailler avec ces personnes là… de façon à pouvoir faire deux jours….si en plus on ne s’entend pas entre nous c’est galère. »[1]

Cet engagement est ici une occasion de penser l’activité pour permettre, comme nous le propose Françoise Chatenet[2], de se dégager de ce qui pourrait être aliénant. Penser autrement, en dépit des résistances et accepter une posture dialogique autour de cette question, relève d’une autre forme de courage celui de « chercher la force là où elle se trouve » (Fleury, 2010) pour y retrouver un pouvoir d’agir. C’est dans cette perspective que le poids des institutions, les conditions de travail, l’environnement professionnel agissent comme une chape de plomb, contraignent les professionnels au silence voire à la discrétion et entraîne une impuissance à agir collectivement. Mais comme le souligne M. Ch Jayet, l’isolement des personnels n’a jamais pu favoriser de véritables discussions de métier (Jayet, 1999). En conséquence toutes discussions quand elles existent sont vouées à la clandestinité. « Il est de notoriété publique que toute question gênante, toute critique déplacée, toute impertinence entraînera ipso facto une  »fatwa » qu’appliqueront par la suite de zélés serviteurs du régime, et qui disqualifiera pour longtemps le téméraire ayant osé braver l’ordre établi. » (Sabathié, 2010). Néanmoins, toutes disqualifications ne font que révéler les mécanismes défensifs des acteurs serviteurs et questionnent le véritable objet de l’activité de l’animateur voire des animateurs d’animateurs.

Les animations effectuées avec une multitude de ces professionnels (animateurs) et une longue expérience de la chose pédagogique m’ont permis d’observer une grande lassitude des animateurs dont la souffrance discrète si difficile à décrire, apparaît à travers les silences assourdissants où très souvent les discussions de surfaces interminables éludent toutes discussions professionnelles. Discussions professionnelles qui permettraient une contribution une mise en commun d’un geste professionnel à en devenir. Alors que « ce qu’on ne partage pas sur le travail est plus intéressant que ce qu’on partage » (Y. Clot  sept 2010). Interminables discussions qui semblent compatibles avec une impossibilité de produire du temps mort. Une impossible expérience de la temporalité, qui permettrait la découverte de soi même, pour s’étonner en se regardant afin de pouvoir se regarder et s’étonner (Fleury, 2010). Une expérience pour se surprendre à écouter et à partager l’inattendu, une expérience pour décrocher sa pensée suspendue. Silences assourdissants entre animateurs et envers les stagiaires qui deviennent ici l’expression de la souffrance. Comme le dit D. Lhuilier « La souffrance se traduit par l’impossibilité de mettre en mot de s’expliquer, de se représenter, de symboliser. Et la pire des souffrances est celle qu’on ne peut partager. » (Lhuilier , 2006).

Or ces silences assourdissants voire cette discrétion sont des compensations qui permettent sans doute d’entretenir des histoires voire de tenir, mais qui ligote le pouvoir d’agir du professionnel sur son activité, son organisation et qui vont jusqu’à rendre suspect toutes disputes professionnelles. Cependant cette suspicion, entretenue par « un manque de substance précise et méthodique » dans le domaine de la circulation automobile pour le dire avec C.G. Hoyos (1968), permet de raconter n’importe quoi et en même temps  empêche un engagement collectif de professionnels entre professionnels, en dehors de la source, et alimente les querelles de personnes (notons au passage que l' »INSERR » institution qui fabrique les programmes des stages permis à points n’a jamais produit d’ouvrage sur le sujet et les animateurs d’animateurs n’ont jamais produit d’ouvrages pédagogiques. A l’heure des économies il serait intéressant de mettre sur la table les comptes de cette institution.)

Ce faisant les ressorts psychologiques, à l’œuvre dans l’activité de chacun, mis sous scellés dévitalisent la dimension collective et suspendent le répondant collectif. Pour autant ce silence sur l’activité et l’absence de véritables confrontations professionnelles n’abolissent pas l’activité réelle ni le réel de l’activité. Au mieux ils permettent des ripostes créatrices au pire des productions morbides. Destins possibles de l’activité contrariée, assimilés parfois à des désobéissances, voire des infractions, ces ripostes ou productions non débattues placent les professionnels en porte à faux ou on pourrait même dire dans une instabilité professionnelle qui sert parfaitement le système, produit du dysfonctionnement, du turn over voire une application du droit du travail à la limite de la déréglementation. Les auto-entrepreneurs travaillent sous la subordination des organismes, établissent un planning à l’année. Les professions libérales travaillent avec les clients des autres etc.

Au demeurant, tout semblant de confrontations entre animateurs outillés jusqu’aux dents, qui seraient initiées par la source ou ses fidèles, transformées en situations éducatives tel les ‘Gease[3]’ relèvent plus d’un concours de l’animateur académy au couvent de la célébrité, que de véritables discussions professionnelles de métier. Confrontations qui ne sont qu’une forme de surveillance et d’exploitation de l’expérience des animateurs, mais qui n’ont rien à voir avec des activités dialogiques qui offrent la possibilité de l’analyse de l’activité (Clot2001/2). Mais le travail mérite bien des contreparties ! Le monde du travail dans les années 80 à connu ces formes de mobilisation et de récupération des gens avec comme conséquences les évaluations individuelles de la performance. Résultat personne n’a été en mesure de remettre en cause le système parce que tout le monde dans sa niche y a trouvé un grand confort (Dejours, 2010).

 

Méthodologie

 

Cette analyse a été réalisée à partir d’entretiens et de très nombreux stages animés en tant que Psychologue du travail ou Formateur de moniteurs ou organisateur et qui m’a permis une réflexion décontextualisée de l’activité. Une expérience de double appartenance qui révèle les limites entre un dedans et un dehors (Lhuilier, 2006), un contenant et un contenu où les activités artificiellement scindées en établissent les bornes. Bornes qui délimitent les frontières à ne pas franchir. Les expressions « …tu ne vas pas marcher sur mes plates bandes…« , en souligne les contours où le peu qui est donné comme savoir ne peut se partager en deux têtes distinctes. Alors qu’un puissant concept peut se partager. La métaphore de « la double casquette » éclaircit cette distinction en même temps qu’elle symbolise ce dispositif de protection individuel de la condition de l’animateur isolé et renvoi à l’unique casquette. Mais peut-être s’agit-il de l’expression d’une demande à travers cette expression, « …oui mais toi tu as la double casquette… ».

Cette expression démontre l’absence de mise en commun des savoirs, et démontre des conflits d’incompétences, antérieurs à la non partage du travail, qui s’origine sur l’absence d’une véritable analyse des besoins et d’une absence de la définition de l’activité.

 

A suivre …..

 

[1]( entretien BAFM )  0408

[2] Chatenet présentation aux animateurs des modules deuxième génération ‘produits psychoactifs » et « vitessé » 2006 et 2009

[3] Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situations Educatives (G.E.A.S.E.)

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